• LE MIROIR DES AMES


    Se réveiller brusquement un matin de janvier, réaliser soudainement être âgée de trente ans et n'avoir été jusqu'à présent qu'une surface polie de verre étamé...

    Tel a été durant toutes ces années mon cruel passé et tel sera le même futur que je connais déjà...
    Inlassablement...
    Un destin assemblé de faces et de facettes uniques, plus captivantes les unes que les autres...
    Un passé usé par les traits de ces dames qui regardent sans me voir.
    Un futur volé par les traits de ces dames qui se regardent sans me voir...

    Enfermée dans les feuilles de verre, je contemple, j'observe et réfléchis.

    Je contemple la beauté de ces femmes.
    Celle que la nature a bien voulue leur donner.
    Une beauté propre à chacune, comme une empreinte digitale, et qui me fascine sans parvenir à me troubler.
    J'observe le charme, la délicate et harmonieuse courbe de leur visage.
    Je m'en délecte et ce, à chacun de leur passage.
    Je réfléchis encore à mon triste sort de ne pas m'apercevoir, de ne pas pouvoir fermer les yeux qui me sont immortels et réfléchis ensuite l'image de toutes ces femmes passant et s'admirant dans leur miroir.

    Elles sont mon apparence.
    Je ne suis qu'illusion, un mirage dans un nouveau monde enclin à de nombreux naufrages.
    Je suis leur oasis, elles me sont source de vie car je me nourris d'elles, de leurs émotions, de leurs sensations, de leur conscience, de leurs sens et de leur âme.
    Elles me hantent, m'habitent et me courtisent sans que je sois, pour autant, objet de convoitise.
    Je les ai toutes perçues, senties, vues, semblables à un défilé sans cesse renouvelé et qui ne cesse de s'achever.

    J'emprisonne à jamais leurs lignes.
    J'impressionne à jamais leur regard et leur sourire sans omettre un détail, aussi minime soit-il.
    Mon oeuvre est parfaite, la duplication de tout leur être est impérissable.
    Elle est en moi.
    Elle n'appartient qu'à moi...

    Elles vont et viennent telles les vagues à marée basse, balayant à leur manière, une mèche de cheveux ou une poussière invisible sur l'épaule...

    Belles, elles le sont toutes.
    Qu'elles soient brunes, blondes, minces ou rondes...
    Mûres, fortunées, immatures ou ruinées ...
    Boulimiques, mariées, anorexiques ou divorcées....
     
    Eclatantes, ennuyeuses, exaltantes ou affreuses...
    Détestables, ordinaires, remarquables ou vulgaires...

    Belles, elles le sont toutes.

    Je garde en moi le souvenir de toute leur existence, tout comme je garde aussi celui de leur regard...
    Pour un instant, leurs yeux posés sur moi.

    Leurs yeux...
    Qui sont le miroir de l'âme...
    Et moi...
    Qui ne suis qu'un miroir, dans les toilettes pour dames.


    P. de Bellac 


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